Transfert de résidence fiscale de la France vers l’Italie : règles, risques et bonnes pratiques
Sécuriser un transfert de résidence fiscale ne se résume pas à changer de pays. C’est l’aboutissement d’une analyse rigoureuse des critères fiscaux internes et conventionnels. Cet article illustre ces règles entre la France et l’Italie, à la lumière des enjeux personnels, professionnels et patrimoniaux du contribuable.
Introduction
Le terme « expatriation » – issu du latin ex patria, signifiant « hors de la patrie » – s’est largement imposé dans les discours politiques, médiatiques et professionnels pour désigner le fait de s’installer à l’étranger. Pourtant, cette notion intuitive reste imprécise, notamment d’un point de vue fiscal et juridique.
En droit français, le terme n’a aucune définition générale. Seul le droit de la sécurité sociale en encadre l’usage, notamment en distinguant le salarié « expatrié » du salarié « détaché ». Mais en fiscalité, ce vocabulaire courant montre vite ses limites.
Pour une analyse rigoureuse, il convient de lui substituer la notion de transfert de la résidence fiscale : un changement dans la situation personnelle, professionnelle et patrimoniale du contribuable, le conduisant à ne plus remplir les critères de domiciliation en France, tout en satisfaisant ceux d’un autre État.
Ce transfert peut également reposer sur l’application d’une convention fiscale internationale, laquelle peut attribuer la résidence à un État, même si l’un des critères internes reste rempli.
Objectif de cet article : clarifier les règles juridiques qui encadrent un transfert de résidence fiscale entre la France et l’Italie, à la lumière des législations internes et de la convention bilatérale. L’analyse repose sur un exemple de transfert vers l’Italie, mais la méthodologie est transposable à d'autres États.
I. Résidence fiscale : une notion plus exigeante que l’« expatriation »
A. La transformation de la mobilité internationale
À l’heure des mobilités professionnelles souples et de la libre circulation en Europe, les critères traditionnels de résidence fiscale sont mis à l’épreuve. Les générations Erasmus, les digital nomads, les dirigeants transnationaux ou les contribuables fortunés ne correspondent plus au modèle classique du résident sédentaire.
Aujourd’hui, un contribuable peut :
- résider partiellement dans plusieurs pays,
- exercer une activité à distance,
- détenir un patrimoine réparti sur plusieurs territoires.
Face à cette réalité, le droit fiscal doit articuler des critères de rattachement cohérents, reposant à la fois sur la législation nationale et les conventions fiscales bilatérales.
B. Le rôle central des conventions fiscales
Lorsqu’un contribuable satisfait aux critères de résidence fiscale dans deux États différents, un conflit de double résidence peut surgir.
La convention fiscale franco-italienne prévoit alors des règles hiérarchisées (les « tie-breaker rules », art. 4 § 2), permettant d’attribuer la résidence à un seul des deux États.
Ces critères incluent notamment :
- le foyer d’habitation permanent,
- le centre des intérêts vitaux,
- le lieu de séjour habituel,
- et, à défaut, la nationalité.
Ces règles s’appliquent en complément des critères nationaux : il ne suffit pas de s’inscrire à l’Anagrafe en Italie pour être résident fiscal au sens conventionnel.
II. Comment devient-on résident fiscal en Italie ?
A. Les critères légaux selon le droit fiscal italien
En application de l’article 2, paragraphes 2 et 2-bis du Testo Unico delle Imposte sui Redditi (TUIR), est considéré comme résident fiscal italien tout contribuable qui, pendant la majeure partie de l’année (plus de 183 jours, y compris les fractions de jour), remplit au moins l’un des trois critères suivants :
- Avoir sa résidence en Italie au sens de l’article 43, alinéa 2 du Code civil italien (lieu de vie habituel).
- Avoir son domicile en Italie, c’est-à-dire le lieu où se développent principalement ses relations personnelles et familiales (définition introduite par le décret législatif n° 209/2023).
- Être physiquement présent sur le territoire italien pendant plus de 183 jours sur une année civile, même de façon non continue.
Ces critères sont alternatifs : le respect d’un seul suffit à établir la résidence fiscale italienne.
B. La présomption liée à l’Anagrafe
En plus des critères ci-dessus, la loi fiscale italienne introduit une présomption de résidence fiscale :
- Toute personne inscrite à l’Anagrafe della popolazione residente pendant plus de 183 jours est présumée résidente fiscale, sauf preuve contraire.
- De même, les citoyens italiens radiés de l’Anagrafe et transférés dans un État non listé sur la « white list » italienne sont présumés rester résidents fiscaux en Italie, sauf éléments probants d’un transfert réel.
Ces présomptions renforcent la vigilance administrative à l’égard des expatriations de convenance.
C. Résidence au sens de l’article 43 du Code civil italien
La résidence civile désigne le lieu où une personne a établi sa demeure habituelle.
Deux éléments sont requis :
- un critère objectif : une présence physique stable dans un lieu donné ;
- un critère subjectif : l’intention manifeste d’y établir sa vie quotidienne.
Ce n’est pas tant la durée de séjour qui compte que la combinaison entre la présence effective et la volonté d’y vivre durablement.
Par exemple :
Un contribuable séjournant chaque mois 10 jours en Italie, mais y ayant sa famille, son logement principal, ses abonnements, ses médecins, etc., pourrait être considéré comme résident italien, même en l’absence de présence continue.
D. Domicile fiscal : la nouvelle approche centrée sur les relations personnelles
Depuis la réforme introduite par le décret législatif n° 209/2023, le domicile fiscal italien s’entend comme :
« Le lieu où se développent principalement les relations personnelles et familiales ».
Il s’agit d’une approche centrée sur les liens affectifs et familiaux, même si les éléments professionnels et patrimoniaux restent pertinents dans l’analyse globale.
Exemples d’indices permettant d’identifier un domicile fiscal en Italie :
- vie de couple ou famille en Italie ;
- scolarisation des enfants ;
- inscription à une association ou club local ;
- suivi médical régulier ;
- adhésion à des services locaux.
Cette approche, fondée sur la substance plutôt que sur les formes déclaratives, impose une cohérence réelle entre les choix de vie et le statut fiscal
E. Présence physique de plus de 183 jours : un critère purement arithmétique
Un contribuable est également réputé résident fiscal italien s’il séjourne plus de 183 jours (même non consécutifs) sur le territoire italien au cours d’une année civile.
Il s’agit d’un critère :
- objectif (peu importe le motif du séjour),
- quantitatif (tout jour, ou fraction de jour, compte).
Exemple :
Une personne atterrissant à Rome le 1er juillet à 23h00 et repartant le 31 décembre à 01h00 sera réputée présente 184 jours — deux jours étant comptabilisés malgré une présence partielle.
Conséquence : la simple présence répétée en Italie, sans formalisation juridique du transfert de résidence, peut suffire à entraîner un changement de statut fiscal
III. Les formalités indispensables à l’installation en Italie
Un transfert de résidence fiscale vers l’Italie ne peut se limiter à des considérations théoriques : il doit s’accompagner d’actes concrets, documentés, vérifiables. Deux démarches sont particulièrement structurantes :
A. L’inscription à l’Anagrafe : votre preuve de présence officielle
L’Anagrafe della popolazione residente est le registre officiel des personnes vivant en Italie. Toute personne s’y installant de manière stable doit obligatoirement s’y faire inscrire.
Comment s’y inscrire ?
- Se présenter à la mairie (Comune) de la ville de résidence principale.
- Remplir une dichiarazione di residenza (déclaration de résidence).
- Fournir :
- un document d’identité valide,
- un justificatif de domicile (bail, acte de propriété, attestation d’hébergement),
- et, le cas échéant, un justificatif d’activité ou de ressources (contrat de travail, attestation sur l’honneur…).
Contrôle de la commune
Un agent de la police municipale procède généralement à une visite de vérification à l’adresse déclarée. Une fois ce contrôle effectué, l’inscription devient définitive.
Pourquoi c’est important ?
L’inscription à l’Anagrafe constitue un indice fort de résidence fiscale au regard du droit italien… et peut même déclencher une présomption légale.
B. L’obtention du codice fiscale : sésame de la vie italienne
Le codice fiscale est l’équivalent italien du numéro fiscal français. Il est indispensable pour :
- signer un contrat de location,
- ouvrir un compte bancaire,
- travailler en Italie,
- souscrire une assurance,
- accéder aux soins ou à tout service administratif.
Comment l’obtenir ?
Il suffit de transmettre par posta elettronica certificata (PEC) :
- le formulaire AA4/8, dûment rempli et signé,
- une copie du passeport ou d’un document d’identité valide (sauf si le formulaire est signé électroniquement).
Le formulaire et les instructions sont disponibles sur le site officiel de l’Agenzia delle Entrate : www.agenziaentrate.gov.it
C. Ne pas négliger la cohérence globale
Il est essentiel que l’ensemble des actes concrets soient alignés avec le projet d’expatriation :
- Contrats de travail ou de prestation en Italie,
- Comptes bancaires actifs localement,
- Consommations courantes en Italie (abonnements, soins, activités sociales),
- Rupture claire avec les habitudes françaises (résiliation de bail, fermeture de comptes, radiation CAF ou sécurité sociale…).
En cas de contrôle fiscal (notamment de l’administration française), ces éléments seront examinés dans leur ensemble pour valider (ou non) le caractère effectif de votre changement de résidence.
IV. Résidence fiscale France-Italie : gérer les situations de double résidence
Il arrive fréquemment, dans les transferts transfrontaliers, qu’un contribuable remplisse les critères de résidence fiscale dans deux États à la fois. C’est notamment le cas lorsqu’il conserve encore un lien patrimonial ou professionnel important avec la France, tout en établissant parallèlement des attaches personnelles en Italie.
Dans ce contexte, seule une convention fiscale bilatérale permet d’éviter une double imposition. Entre la France et l’Italie, c’est l’article 4 de la convention du 5 octobre 1989 qui organise la résolution du conflit.
A. Quand le droit interne ne suffit plus : l’origine du conflit
Concrètement, un contribuable peut être :
- résident fiscal français au sens de l’article 4 B du CGI (par exemple, s’il perçoit encore l’essentiel de ses revenus de France) ;
- et résident fiscal italien au sens de l’article 2 du Testo Unico delle Imposte sui Redditi (par exemple, s’il vit et est inscrit à l’Anagrafe en Italie).
Résultat : double assujettissement à l’impôt mondial dans les deux pays.
Solution : appliquer la convention fiscale, qui introduit des critères dits de « tie-breaker » (critères de départage) pour résoudre le conflit de résidence fiscale.
B. L’article 4 § 2 de la convention franco-italienne : les tie-breaker rules
Voici les étapes d’analyse prévues par l’article 4 § 2 de la convention :
1. Foyer d’habitation permanent
Où le contribuable dispose-t-il d’un logement disponible de manière durable, qu’il soit locataire, propriétaire ou hébergé à titre gratuit ?
Il ne suffit pas de posséder un logement : il doit être effectivement à disposition.
2. Centre des intérêts vitaux
En cas de foyers d’habitation dans les deux pays, on examine l’État avec lequel les liens personnels et économiques sont les plus étroits :
- Liens personnels : vie familiale, vie sociale, enfants scolarisés, cercle amical, soins médicaux…
- Liens économiques : lieu de travail, origine principale des revenus, gestion du patrimoine, comptes bancaires…
Le Conseil d’État a rappelé que ce critère suppose une analyse globale, sans hiérarchie rigide entre personnel et économique (CE 17-12-2003 n° 241920, Dardashti)
3. Lieu de séjour habituel
Si les intérêts vitaux sont indéterminables, on regarde où la personne séjourne habituellement, selon la régularité et la périodicité des séjours.
On peut séjourner "habituellement" dans deux pays : cela nécessite une appréciation qualitative, et non un simple décompte des jours.
4. Nationalité
Critère subsidiaire : si aucun autre ne permet de trancher, on regarde la nationalité.
5. Accord amiable entre les deux États
En cas de double nationalité, ou d’échec des critères précédents, les autorités fiscales françaises et italiennes doivent rechercher une solution par accord amiable.
C. Être reconnu résident fiscal italien au sens de la convention : une condition préalable
La convention n’écarte le risque de double imposition que si le contribuable est considéré comme résident au sens conventionnel.
Ce statut suppose :
- d’être imposable sur l’ensemble de ses revenus mondiaux en Italie ;
- et pas seulement sur les revenus de source italienne.
Par exemple : une personne retraitée vivant majoritairement en France mais percevant une pension italienne n’est pas considérée comme résidente d’Italie au sens de la convention (CE, 24 mai 2006, n° 280942).
D. Anticiper les divergences d’interprétation
L’administration française peut :
- contester l’application des tie-breakers,
- refuser de reconnaître l’Italie comme État de résidence fiscal principal,
- ou considérer que le contribuable n’a pas quitté la France, faute d’éléments suffisamment probants.
C’est pourquoi la documentation de chaque critère est fondamentale : contrats de location, preuve de consommation locale, rattachement des enfants à l’école italienne, sources de revenus, etc.
V. Tester la robustesse du transfert de résidence fiscale
De plus en plus de contribuables choisissent de quitter leur pays d’origine pour s’installer dans une autre juridiction, pour des raisons :
- professionnelles (mobilité internationale, opportunités de carrière),
- familiales (proximité avec un conjoint, enfants),
- culturelles ou patrimoniales (cadre de vie, fiscalité plus favorable).
Mais cette liberté de circulation s’accompagne d’une vigilance croissante des administrations fiscales, notamment celle de l’État de départ.
A. La position de l’administration fiscale française : méfiance et vérifications renforcées
L’administration fiscale française adopte une approche de plus en plus proactive pour remettre en cause les transferts de résidence fiscale, surtout :
- lorsque les enjeux financiers sont importants (revenus élevés, plus-values latentes, succession à venir),
- ou lorsque le contribuable conserve un patrimoine ou un train de vie significatif en France.
Outils utilisés par l’administration :
- Relevés bancaires et cartes bancaires (lieu des dépenses courantes) ;
- Données immobilières et consommations (eau, électricité, gaz) ;
- Géolocalisation téléphonique (à travers certaines enquêtes spécifiques) ;
- Utilisation de plateformes (Uber, Airbnb, réseaux sociaux) ;
- Coopération administrative internationale pour obtenir des relevés étrangers ;
- Inversion de la charge de la preuve : dans une procédure contentieuse, c’est au contribuable de démontrer qu’il n’est plus résident français.
B. L’exemple emblématique présenté à l’International Bar Association
Lors de la conférence de l’IBA du 3 mars 2025 à Londres, un cas pratique a illustré les dérives potentielles de l’administration :
Une contribuable britannique, propriétaire d’un bien immobilier en France, y séjournait environ quatre mois par an. Elle passait le reste de l’année entre plusieurs juridictions et sur son bateau.
N’ayant déclaré sa résidence dans aucun État et étant incapable de prouver un séjour prépondérant ailleurs qu’en France, elle a été considérée comme résidente fiscale française au sens de l’article 4 B du CGI.
Le dossier a été clos dans le cadre d’un règlement amiable sans poursuite pénale.
Ce cas souligne l’importance de prouver positivement un transfert effectif, en établissant :
- l’abandon des critères de domiciliation en France,
- la satisfaction des critères dans le pays d’accueil,
- une documentation complète, chronologique, cohérente.
C. Renforcer la crédibilité du transfert : les bonnes pratiques
Voici une checklist des actions à anticiper pour asseoir la robustesse de son changement de résidence fiscale :
Avant le départ
- Analyser sa situation au regard des critères de l’article 4 B du CGI : présence du foyer, séjour principal, exercice de l'activité professionnelle à titre principale ou localisation du centre des intérêts économiques en France.
- Organiser la rupture de son lien "physique" avec la France :
- fermeture ou transfert des comptes bancaires,
- résiliation des abonnements/utilitaires,
- changement d’école pour les enfants,
- cession ou mise en location du logement principal.
- Identifier les critères d’établissement dans le pays d’accueil et s’y conformer :
- inscription administrative,
- preuve de résidence habituelle ou de foyer d’habitation,
- rattachement fiscal local.
Pendant l’installation
- Centraliser ses dépenses, son quotidien et ses démarches dans l’État de destination.
- Obtenir un code fiscal local, souscrire une assurance santé, déclarer ses revenus sur place.
- Documenter la situation :
- baux de logement,
- certificats d’inscription,
- factures et paiements réguliers.
En cas de contrôle
- Disposer de preuves concrètes de la rupture avec la France.
- Être capable d’expliquer et justifier la cohérence du transfert.
- Produire des éléments objectifs :
- relevés de consommation,
- trajets,
- déclarations fiscales étrangères,
- formulaires de crédit d’impôt.
Conclusion : sécurité juridique par anticipation
Il n’existe aucune "recette" universelle. Chaque transfert doit être examiné au regard :
- des législations internes (CGI, TUIR, etc.),
- des stipulations conventionnelles,
- de la situation personnelle et patrimoniale du contribuable.
Mon rôle : vous aider à anticiper, sécuriser et justifier votre transfert. Je vous propose un premier rendez-vous confidentiel pour examiner votre situation et définir ensemble les leviers pertinents à activer.
S.ASSOGNA (sandro.assogna@avocat.fr)