Sandro Assogna

Trusts et nouvelle fiscalité successorale italienne : enjeux juridiques et transfrontaliers

Découvrez comment la réforme fiscale italienne de 2025 affecte la fiscalité des trusts dans le cadre des droits de succession et de donation, ainsi que les défis transfrontaliers qui en découlent.

Categorie
Droit fiscal du patrimoine
Date
10.6.25

Cet article est une version synthétique, adaptée à la lecture en ligne, d’une analyse plus complète publiée dans la revue Ingénierie Patrimoniale, "Italie : nouveau régime optionnel de paiement anticipé de l’impôt sur les successions et donations en cas de transfert provenant d’un trust" (JFA Juristes & Fiscalistes Associés Éditions, octobre 2024).

I. Introduction : D’une incertitude jurisprudentielle à une réforme législative

L’Italie fut le premier pays de droit civil à ratifier la Convention de La Haye du 1er juillet 1985 sur les trusts (ratifiée en 1989). En 2007, elle intègre le trust dans le système fiscal italien, en l’assujettissant à l’impôt sur les sociétés (IRES).

En revanche, en matière de droits de succession et de donation (ISD), l’absence de dispositions spécifiques a conduit à des interprétations divergentes, tant de l’administration fiscale que de la jurisprudence.

La réforme de 2025, adoptée le 7 août 2024, introduit un régime spécifique d’ISD applicable aux trusts. Elle permet au constituant – ou au trustee dans le cas d’un trust testamentaire – d’opter pour une imposition anticipée lors de l’apport. Cette option fige la base taxable à la date de transfert au trust, évitant ainsi les hausses futures de taux ou les baisses d’abattements.

Cet article retrace l’évolution jurisprudentielle, les contours de la réforme et ses éventuelles incompatibilités constitutionnelles ou conventionnelles.

II. État du droit : l’événement taxable en jurisprudence italienne

1. Doctrine administrative initiale

Avant la réforme, la loi italienne ne régissait pas spécifiquement l’ISD applicable aux trusts. L’administration fiscale considérait que l’événement taxable intervenait dès l’apport au trust, et non au moment de la distribution. Sa position reposait sur l’idée que :

  • le trust constituait une sous-catégorie des « contraintes d’affectation » (article 2645-ter du Code civil) ;
  • le décret-loi n° 262/2006 soumettait à ISD les « créations de contraintes d’affectation ».

En conséquence, l’apport au trust déclenchait l’ISD. La répartition aux bénéficiaires ne constituait pas un nouvel événement taxable, même en cas de plus-value.

2. Revirement jurisprudentiel (2018–2022)

La Cour de cassation italienne a opéré un revirement à partir de 2018 :

  • l’ISD ne s’applique que lors de l’enrichissement effectif des bénéficiaires ;
  • le trust isole les actifs sans transfert de propriété au trustee ;
  • seule l’attribution définitive aux bénéficiaires constitue un transfert taxable.

Cette approche s’aligne sur l’article 53 de la Constitution italienne, qui impose une capacité contributive effective pour fonder l’impôt.

3. Ralliement administratif

La circulaire 34/E de 2022 entérine cette jurisprudence, tout en précisant que certains « trusts transparents » – où les bénéficiaires disposent de droits immédiats – peuvent encore être taxés dès leur création.

III. La réforme 2025 : nouvelles règles et mécanisme d’option

A. Champ d’application et territorialité

  • Article 1(1) TUS : l’ISD s’applique aux transferts à titre gratuit via trusts et contraintes d’affectation.
  • Article 1(2-bis) TUS : si le constituant est résident italien à la date de l’apport, l’ISD s’applique à l’ensemble des actifs transmis ; sinon, uniquement aux biens situés en Italie.

B. Taux d’imposition et obligations déclaratives

  • Déclaration dans les 30 jours (ou 60 en cas de transmission liée à un événement de vie).
  • Taux selon le lien de parenté :
    • 4 % au-delà de 1 000 000 € pour le conjoint et les descendants/ascendants en ligne directe ;
    • 6 % au-delà de 100 000 € pour les frères et sœurs ;
    • 6 % ou 8 % sans abattement pour les autres.

C. Option d’imposition anticipée

  • Article 4-bis TUS : le constituant (ou le trustee en cas de trust testamentaire) peut opter pour le paiement de l’ISD au moment de l’apport ou à l’ouverture de la succession.
  • L’assiette et les taux sont figés à cette date.
  • En l’absence d’identification des bénéficiaires : taux maximal de 8 %, sans abattement.
  • Aucun remboursement possible si la transmission finale n’a pas lieu.

Cette option, applicable aussi aux trusts préexistants, vise à garantir la sécurité juridique et budgétaire.

IV. Compatibilité constitutionnelle et conventionnelle

A. Article 53 de la Constitution italienne

  • L’imposition anticipée précède l’enrichissement effectif.
  • Or, l’article 53 exige une capacité contributive fondée sur une réalité économique.
  • L’ISD optionnelle pourrait donc méconnaître ce principe si elle frappe un enrichissement encore virtuel.

B. Convention fiscale franco-italienne de 1990

1. Personne imposable et fait générateur
  • L’administration française limite l’application de la convention si l’État impose des personnes différentes (ex. : trustee vs bénéficiaire).
  • Les commentaires OCDE précisent pourtant que la convention s’applique même si les redevables sont différents.
  • L’interprétation française semble ajouter une condition non prévue par la convention.
2. Champ matériel de la convention
  • L’article 2 de la convention vise les impôts prélevés en cas de décès ou de donation.
  • L’ISD optionnelle intervient avant la transmission effective de patrimoine.
  • La qualification juridique de cette taxe pourrait donc l’exclure du champ conventionnel.

Des incertitudes demeurent en l’absence de clarification par les administrations et les juridictions.

V. Conclusion

La réforme italienne de 2025 offre un cadre clair pour la fiscalité successorale des trusts, et une faculté d’optimisation grâce à l’imposition anticipée. Mais elle soulève des interrogations de constitutionnalité et de compatibilité internationale. Une vigilance particulière s’impose en matière de planification patrimoniale transfrontalière.

S. Assogna
sandro.assogna@avocat.fr

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