Fiscalité des partnerships américains : le Conseil d'État sur l'application de la convention fiscale entre la France et les Etats-Unis
L'arrêt récent du Conseil d'État du 18 décembre 2024 (n° 469461, 469463, Rosati) apporte un éclairage précieux sur la qualification fiscale des revenus perçus via des partnerships américains et leur traitement au regard de la convention fiscale franco-américaine. Cet arrêt est intervenu à la suite d'un contentieux opposant une contribuable américaine résidant en France à l'administration fiscale française, laquelle contestait la nature des revenus perçus et le calcul du crédit d'impôt applicable.
Faits et enjeux de l'affaire
En 2012, un limited partnership (LP) américain a réalisé une plus-value immobilière de 83 millions de dollars. Une fraction de ce revenu a transité par un general partnership (GP), qui en a reversé une partie (à hauteur de 10,2 millions de dollars) à une associée, citoyenne américaine et résidente fiscale en France.
Dans leur déclaration fiscale, cette dernière et son époux ont qualifié ce revenu de plus-value immobilière et se sont prévalus d'un crédit d'impôt égal à l'impôt sur le revenu français. Or, l'administration fiscale a requalifié le revenu et a limité le crédit d'impôt au montant de l'impôt américain effectivement acquitté.
Un parcours juridictionnel au gré des requalifications
Devant le Tribunal administratif (TA) de Strasbourg, les contribuables ont demandé que leur revenu soit requalifié en revenus de capitaux mobiliers (RCM), ce qui aurait permis d'obtenir un crédit d'impôt intégral. Le TA leur a donné raison, prononçant une décharge des impositions supplémentaires.
Saisi en appel, le Cour administrative d'appel (CAA) de Nancy a validé la décharge fiscale mais en modifiant la qualification des revenus. Elle a jugé qu'il s'agissait de bénéfices industriels et commerciaux (BIC) relevant de l'article 7 de la convention fiscale franco-américaine et, à ce titre, non imposables en France.
Face à cette décision, le ministre de l'Économie et des Finances a formé un pourvoi en cassation devant le Conseil d'État, contestant la qualification retenue par la CAA et revendiquant l'imposition en France de ces revenus.
Position du Conseil d'État : un rappel des Principes Conventionnels
Suivant les conclusions du rapporteur public, le Conseil d'État rejette le pourvoi du ministre mais apporte des précisions déterminantes sur l'application de la convention fiscale franco-américaine :
- Qualification Conventionnelle des Revenus :
- Le Conseil d'État rappelle que selon la convention fiscale franco-américaine, un associé d'un partnership américain est considéré comme ayant directement réalisé les revenus perçus par celui-ci.
- Ainsi, une plus-value immobilière réalisée par un partnership américain, même par l'intermédiaire d'un autre partnership, doit être imposée selon l'article 13 de la convention, c'est-à-dire dans l'État de situation de l'immeuble concerné (en l'espèce, les États-Unis).
- Toutefois, la convention ne fait pas obstacle à l'imposition en France des résidents fiscaux français, la double imposition étant éliminée par l'attribution d'un crédit d'impôt.
- Requalification en BIC et Imposition en Droit Interne :
- Le Conseil d'État estime que la CAA de Nancy a commis une erreur de droit en qualifiant le revenu de BIC au regard de la convention fiscale.
- Cependant, cette erreur est sans incidence car l'imposition en droit interne était infondée.
- En effet, le ministre n'a pas contesté la qualification interne retenue par la CAA, qui s'appuyait sur la jurisprudence Artémis (CE, 24 nov. 2014, n° 363556) pour assimiler le limited partnership à une société en commandite simple et le general partnership à une société en nom collectif. Cette analyse a conduit à classer les revenus en BIC, ce que le Conseil d'État entérine en constatant l'absence de contestation du ministre sur ce point.
Conclusion : Une Réaffirmation de la Jurisprudence Artémis
Cet arrêt illustre la complexité des interactions entre droit interne et fiscalité internationale. Le Conseil d'État clarifie le traitement conventionnel des revenus perçus par l'intermédiaire de partnerships américains, mais s'abstient d'infirmer l'analyse interne retenue par la CAA. Cette décision conforte l'application de la jurisprudence Artémis, tout en rappelant que la qualification d'un revenu doit être cohérente à la fois en droit interne et au regard des stipulations conventionnelles.
Pour les contribuables détenant des investissements via des partnerships étrangers, cet arrêt souligne l'importance d'une anticipation rigoureuse des conséquences fiscales en France et aux États-Unis.